Historique du fort Mortier
 situé sur le ban de Volgelsheim (68)

 

Le fort Mortier, appelé ainsi depuis le rattachement de l’Alsace à la France en 1648, doit son nom au célèbre fondeur d’origine suisse Jean-Jacques KELLER, habitant Ville Neuve Brisach et inventeur du canon du même nom que le fort. Il eut 12 enfants à la Ville Neuve puis à Biesheim où il résida au moins jusqu’en 1709.

Le fort fut d’abord un ouvrage en bois, déjà situé sur la rive alsacienne du Rhin, nommé Jacobs Schantze comme en témoigne la vue d’avant 1648 ci-dessous (1).

 

Ville libre d’empire depuis 1273, Breisach était le seul port et point de passage sur le Rhin entre Bâle et Strasbourg. Le premier pont en dur y fut construit en 1279.

 

Entouré d’une palissade et défendu par des fossés et deux ponts-levis, le fort Mortier était précédé, sur une île du Rhin, future Ville Neuve Brisach, d’un autre fortin nommé avant 1648 Italiener Schanze.

On peut constater sur la vue ci-dessous que cette île avait déjà une vocation horticole et pastorale qu’elle retrouva après la destruction de la Ville Neuve Brisach à partir de 1699. Elle a encore maintenant la même vocation sous le nom de Stroïstadt (ville de paille).

 

Ces forts protégeaient l’accès de Breisach où l’on pénétrait par le Rheintor, également simple construction en bois à l’époque.

En 1614, un architecte d’Innsbrück, Johann Bahl avait complété ces fortifications alors que la place était sous le commandement de Ascanio Albertini.

En 1640, sous occupation franco-weimaroise, ce fut l’architecte strasbourgeois MÖRHAÜSER  qui transforma encore les fortifications.

 

 

Sur cette médaille (1), frappée en l’honneur de Bernard de WEIMAR pour la prise de Breisach en décembre 1638 après un siège de huit mois, il semble complété d’un troisième fortin.

Il est fort probable que l’auteur de cette médaille a confondu le fort St Jakob  (fort Mortier) avec la Italiener Schantze.

En effet, le fort Mortier, sur toutes les autres gravures, n’a jamais été situé sur une île.

 

Le catalogue du musée de Alt-Breisach signale également, page 143, qu’avant 1640, une auberge appelée Mortier était située à cet endroit ? 

  

Le fort figure également sur une carte de Colmar de Mérian datant de 1643, à côté de Biessen (Biesheim) fortifié.
L’église, au lieu Edenburg, est le vestige d’un village disparu lui-même situé sur un oppidum romain disparu après la chute de l’empire romain.
 

 

Vue de Breisach et du fort Mortier avant 1660

Il est visible que le fort Mortier était érigé en protection de Breisach avec son entrée côté Rhin et ses défenses axées vers l’Alsace. Cette situation va s’inverser après la construction de Ville Neuve Brisach et la restructuration du fort par VAUBAN. L’entrée sera alors située côté Alsace.

 

Le responsable des travaux fut, sous le commandement de VAUBAN, Jacques de TARADE, né vers 1640 à Jarnage, fils de Jean, Inspecteur des bâtiments du Roi à Paris. Il habita Vieux Brisach et y eut 3 enfants de 1676 à 1679 de LANIER Marie

 

 

 

Sébastien le PRESTRE de VAUBAN
né le 12 mai 1633 et mort à Paris le 30 mars 1707.



« Brisach, in het landschap Bisgouw, aan den Rhyn, boven Straasbutg, onder de Fransse gevallen  in het Iaar 1639»

Gravure sur cuivre de Peter SCHENK, Amsterdam (1645-1715)

La date est bien sûr fausse puisque la Ville Neuve Brisach ne fut construite qu’en 1674.

 

Gravure sur cuivre “als Randillustration auf der Rheinlaufkarte”

 

Frederic de WITT (1616-1698)

 

 

 

Après la prise de possession de Brisach et du Brisgau en 1648, le fort fut complètement reconfiguré par Vauban pour la défense de la Ville Neuve Brisach. Il lui adjoignit le fort des cadets, académie militaire de jeunes nobles situé à la place de l’ancienne Italiener Schantze.

 

Pour donner un lieu plus sûr au Conseil Souverain d’Alsace qui siégeait à Vieux Brisach, Louis XIV décida de construire en 1677, sur cette île, une ville nouvelle appelée Ville Neuve Brisach ou Ville Neuve St Louis (civita nova de Brisach dans les registres paroissiaux en opposition à veteri Brisaco : Vieux Brisach ou Brisach la haute).

 

La première séance du Conseil Souverain y fut tenue en novembre 1679.

Ville Neuve Brisach, souvent confondue avec Neuf-Brisach, devint rapidement une ville importante de près de 1500 habitants composée des anciens habitants de Biesheim détruit réfugiés dans des huttes de paille sur l’île, des magistrats du Conseil Souverain et de leur personnel, de nombreux artisans et commerçants venus de plusieurs provinces de France, des immigrés venus en masse du Brisgau et de Suisse (calvinistes)  attirés par les exemptions de taxes, des militaires, des fonctionnaires du baillage et d’une communauté juive autorisée, contre subside, à s’installer à la Ville Neuve dès son origine.

L’histoire de la Ville Neuve, en expansion continue et à l’avenir brillant, fut brutalement interrompue par le traité de Ryswick (30/10/1697) qui rendit au Rhin son rôle de frontière et provoqua la perte des têtes de pont de Huningue, Fort Louis,  Vieux Brisach, du Brisgau et la destruction de la Ville Neuve.

Il est à noter que Louis XIV hésita un certain  temps entre rendre à l’Autriche Strasbourg ou conserver Vieux Brisach.

 

 

Gravure sur cuivre de INSELIN en 1680

 


Le Rheintor en bois de Vieux Brisach fut transformée en une porte monumentale, magnifiquement conservée qui sert actuellement de musée à la ville de Alt-Breisach.

Cet édifice, construit par Vauban entre 1664 et 1666, est décoré par deux statues sur le bas. Elles représentent à gauche Hercule et à droite Mars. Les médaillons au milieu représentent LOUIS XIV et sa femme Marie-Thérèse. Au dessus, les deux statues figurent le Rhin et le Danube enchaînés. Tout en haut sont gravées les armoiries de LOUIS XIV. En dessous des armoiries figurait une inscription en latin aujourd’hui disparue : « Je fus la frontière de la Gaule, je suis maintenant un pont et la porte ne sera jamais plus frontière. »  Il fut visité par LOUIS XIV le 30 août 1673.


Le fort servit à nouveau lors de la prise de Vieux Brisach en 1703 par le duc de Bourgogne en présence de LOUIS XIV.(1) A noter que sur l’emplacement de l’ancienne Ville Neuve Brisach, des fermes et des champs avaient déjà remplacé les anciens édifices.

 

 

 

A l’occasion de la guerre de succession d’Espagne, LOUIS XIV et son petit-fils le duc de Bourgogne reprirent Vieux-Brisach le 6 septembre 1703 après un siège de 14 jours seulement (le commandant de la place , ARCO, eut la tête tranchée en 1704 à Bregenz pour trahison).

VAUBAN, également présent et logé à Biesheim, fit réparer le pont entre le Mortier et l’île de paille, et creuser toutes les tranchées et bastions.

Vieux-Brisach, ainsi que Kehl et Freiburg, furent à nouveau restitués à l’Autriche par les traités de Utrecht (1713) et Rastatt (6 mars 1714).

Plan du fort Mortier après 1700

Gravure sur cuivre de Gabriel BODENER.

A : Fort Mortier
B : Porte et arsenal

C : Casernes

D : Magasins

E : Pont

F : 2 caponnières (4)

G : 2 batardeaux

H : Fascines

I : Vers Vieux Brisach

K : Église

 

Entre 1703 et 1792, le fort fut toujours maintenu en activité de défense de Neuf Brisach et mena une vie pratiquement indépendante des villages voisins. Des registres paroissiaux de naissances, mariages et décès y furent tenus de 1707 à 1749. De nombreux militaires invalides y trouvèrent leur dernier emploi. Il est étonnant de constater que des habitants de Biesheim se soient mariés dans la chapelle du fort de préférence à leur église. Les habitations devaient y être très insalubres car la majorité des enfants qui y naquirent ne firent pas de vieux os.

 

Le fort servit encore en septembre 1793 pour le bombardement de Vieux-Brisach puis, à nouveau, lors du siège de Neuf-Brisach en 1814, 1815 et 1870.

Gravure sur bois « Das Pulvermagazin von Neu-Breisach im Fort Mortier nach ubergabe der Festung »

 

Dessin de 1870.

 

 

Le site à l’heure actuelle (plan de 1695 avec en superposition les installations actuelles)

 

Les vestiges de la Ville Neuve Brisach ainsi que ceux du fort des cadets ont certainement été détruits en grande partie lors de la canalisation du Rhin et de la construction du canal d’Alsace.

Le bras du Rhin qui entourait l’île est devenu un petit cours d’eau, le Giessen, qui alimente en partie un élevage de truites.

La « Stroistadt » (ville de paille, nom datant de la construction de la Ville Neuve et encore en usage aujourd’hui) a conservé depuis 300 ans sa vocation de jardinage et de maraîchage.

Le fort côté Rhin, au fond, les silos

L’entrée principale dans la cour intérieure

 

Les armoiries de Louis XIV

 

Il est bien dommage que cet ouvrage, seul vestige pour le canton de cette glorieuse époque, soit laissé dans un état de total abandon. Propriété du port autonome, son accès est interdit et, comme on le voit sur les photos, la végétation luxuriante est en train d'avaler et de détruire tout l'ouvrage. Espérons que le classement de Neuf Brisach en patrimoine mondial de l'humanité verra enfin des travaux de réhabilitation et une ouverture au public.

 

 

Ce fronton représentant les armoiries de Louis XIV est exactement le même que celui du Rheintor de Vieux Brisach.

(1) vue prise au musée de Alt-Breisach  (2) Archives de Alt-Breisach

(3) Aujourd’hui musée de Alt-Breisach (4) Caponnière : petit ouvrage dont les armes flanquent les fossés d’une place forte.

Photos de l’auteur